Interview d’Eli Anderson



J’ai eu la chance lors du salon de Montreuil 2013 de faire une interview d’Eli Anderson. Malheureusement comme je ne suis pas douée, vous n’aurez pas une retranscription exacte de l’interview puisque le fichier sur mon téléphone qui a fait office de dictaphone s’est effacé. Je vous avoue, j’étais bien énervée quand j’ai découvert ça, néanmoins j’avais pris des notes et le tout étant suffisamment frais dans ma tête, je peux vous raconter la teneur de cet entretien même si ça ne sera pas les propos exacts ou sous la forme d’une interview traditionnelle. J’en suis désolée, ça sera donc davantage un compte rendu.

Lorsque l’entretien commence, la première chose dont me parle Eli Anderson c’est du nom du site : Lire ou Mourir qui est assez atypique et plutôt cash. Mais en même temps, on s’en souvient, comme je lui disais et lors de sa création, nous avions cherché un petit moment un nom qui ne soit pas trop long et dont on puisse aussi se souvenir. Je pense que nous avons réussi notre pari (le débat est ouvert).

Après cette brève introduction, nous commençons l’entretien à proprement parler. Je lui demande donc dans un premier temps de se présenter brièvement pour que l’on en sache un peu plus sur lui.

Eli Anderson est un scientifique amoureux de l’imaginaire. Pourquoi scientifique ? Parce qu’il est médecin. Et un jour, alors qu’il travaillait dans un centre hospitalier il a dû soigner un enfant, un adolescent d’une dizaine d’années qui ne voulait pas se laisser soigner parce que cela lui faisait peur. Il a donc essayé de trouver un moyen pour qu’il soit bien avec son corps, pour l’aider à comprendre.

Il faut savoir qu’Eli Anderson a toujours adoré le corps humain et cela depuis l’enfance. Il imaginait que dans le corps tout n’était pas comme on nous l’expliquait (de manière scientifique, avec un fonctionnement assez « mécanique », etc.) mais plutôt qu’il y avait des mondes, des univers fantastiques. Il a donc cherché à voir comment c’était fait à l’intérieur et il me disait qu’il regardait des insectes et par la suite il a voulu voir le corps humain mais on lui a d’abord dit de faire des études de médecine, ce qu’il a fait. Je vous avoue que lorsqu’il m’a dit ça, ça m’a fait sourire et en même temps c’est compréhensible. Mais malgré le côté rationnel et scientifique de la profession, il croyait encore à ces histoires de mondes imaginaires dans le corps humain.

En apportant une touche imaginaire pour expliquer le corps humain à cet enfant malade, histoire qui devait être racontée en cinq étapes (on peut déjà voir le lien avec Oscar Pill ici), cela permettait de dédramatiser et d’aider l’enfant à mieux comprendre son corps et aussi à lui faire prendre conscience que lorsqu’il voulait le soigner, ça n’était pas si horrible. Pour Eli Anderson, si on arrive à comprendre son corps et a bien s’accepter, et cela très tôt dans la vie, ça permet de mieux vivre par la suite, ce qui est vrai. Si on est bien dans sa peau a priori ça ne posera pas de problèmes lorsqu’on grandira (surtout que le passage à l’adolescence est souvent difficile pour ça).

C’est à partir de cette rencontre qu’est né Oscar Pill.

Puisqu’on en vient à parler de l’origine de l’écriture d’Oscar Pill, je lui ai demandé de présenter rapidement sa série à quelqu’un qui ne la connaîtrait pas. Il la décrit comme étant une saga en cinq tomes dans laquelle Oscar, un garçon de 12 ans, vit avec sa sœur Violette et sa mère. Son père est décédé peu de temps avant sa naissance mais il lui a laissé en héritage un don, celui d’être un Médicus. Les Médicus sont des personnes capables de voyager dans le corps humain qui est constitué tel un univers fantastique / merveilleux digne d’un livre de fantasy. Chaque Médicus doit passer des épreuves et ramener des trophées. Ainsi Oscar, en tant qu’adolescent et Médicus va grandir et découvrir ces 5 univers intérieurs qui composent le corps humain, ainsi que les secrets qui concernent sa famille.

Avant de le questionner sur sa série à proprement parler, j’ai voulu, dans un premier temps, connaître sa manière d’écrire. Je trouve ça assez intéressant de voir comment un auteur travaille car il existe tellement de méthodes différentes, qui peuvent être toutes bonnes tant qu’elles conviennent à l’auteur. Eli Anderson est un obsessionnel pour reprendre ses propres termes. Il contrôle absolument tout, il planifie tout à l’avance, pas de place pour la surprise.

Il commence par faire une fiche par personnage, indiquant tout de sa naissance jusqu’à sa mort, donc toute son évolution. Il construit leur vie de A à Z de façon à bien les connaître et voir quelles pourront être leurs réactions / actions en fonction de cela.

Lorsqu’il s’agit d’une série, il y a une trame générale pour tous les tomes, afin qu’il sache où il se dirige (ce que font la plupart des auteurs en général) et pour garder une certaine cohérence. Il est évident que si dans le tome 4 il se passe des choses mais que c’est en total contradiction avec ce que l’on a appris dans le tome 1, ce n’est pas logique donc il y a un problème qu’il faudra rectifier par la suite. Ensuite, il fait un plan détaillé de chaque tome. Pour cela il fait une sorte de tableau dans lequel il inscrit tous les chapitres et dans la colonne suivante le MAD (« Message A Délivrer »). Chaque scène doit être visuelle, c’est vraiment important pour lui. Et je lui faisais remarquer que ça se sentait en lisant Oscar Pill, les détails sont tels qu’on imagine très bien tout ce qui se passe autour de nous, de même lorsqu’on découvre les différents univers à chacun des tomes.

Eli Anderson est un gros travailleur, de sorte qu’il écrivait souvent la nuit mais le souci c’est qu’il avait un rythme décalé. Ce qui n’était donc pas très pratique, donc il s’est discipliné pour reprendre un rythme plus normal et travailler de jour tout en faisant des pauses de temps à autres (notamment pour manger au goûter des Haribo, même si actuellement il est en sevrage. Je compatis).

Après quelques blablas et petites interruptions pour des dédicaces un peu tardives (ce qui est normal, après tout il était là aussi pour ça), on reprend l’entretien. Je me recentre sur la série même en lui demandant pourquoi il avait choisi de faire un tel saut temporel pour le dernier tome d’Oscar Pill.

En effet, les 4 premiers tomes s’inscrivent dans une logique d’un tome par an ou presque, c’est très rapproché, ça se suit. Or pour le tome 5, on constate que l’histoire se déroule deux ans plus tard. Et en fait, il explique que le monde d’Oscar Pill a basculé dans le chaos (je vous avoue que c’est un terme très faible pour décrire ce qu’il est advenu de la société, c’est pire que chaotique et c’est très étrange du coup de se plonger là-dedans) et ce chaos pour qu’il puisse prendre place, il lui fallait un peu de temps. Personnellement, je m’en serai bien passé mais bon, il n’y aurait plus eu d’histoire et l’intérêt aurait été moins grand.

Oscar Pill est parti dans un monde blanc, loin (en lisant le tome on comprend de quoi il parle, mais je resterai vague pour ne pas spoiler ceux qui ne l’ont pas lu) pour ensuite revenir dans la civilisation. Mais Oscar va constater qu’elle n’est plus telle qu’il l’avait laissé au moment de son départ. Lors de cette « retraite » Oscar Pill a changé, il est passé d’un enfant, adolescent à un adolescent « homme en devenir » puisqu’il a 18 ans (alors que dans le tome 4 il n’en avait que 16). Et comme l’univers est devenu plus complexe et sombre, Oscar Pill devait atteindre une certaine maturité pour affronter ce nouvel univers. Donc Eli Anderson avait besoin de temps, aussi bien pour l’univers qui devait se construire et tomber dans le chaos que pour son héros, pour le laisser grandir et devenir homme pour qu’il soit prêt à l’affronter.

Oscar Pill est une série jeunesse et le premier livre peut être lu par un jeune lectorat, c’est accessible et assez mignon (un peu comme les Harry Potter) mais par la suite ça devient plus sombre et je me demandais pourquoi un tel revirement, si c’était une volonté de l’auteur à la base de vouloir faire ça, ou bien si cela s’était imposé de lui-même. Et en fait, c’est cette deuxième proposition. L’histoire devait évoluer car entre les Médicus et les Pathologus cela a beaucoup changé. Pour l’auteur, quand on grandit on perd une partie de notre innocence (ce qui est vrai) et la vie devient plus complexe et dur donc ça devait être le cas pour Oscar Pill. A mesure qu’il grandit, le monde change, sa vision du monde également, donc c’est pour ça que ça devient de plus en plus sombre à mesure des tomes.

Au début de l’entretien, Eli Anderson avait présenté Violette comme étant la grande sœur d’Oscar Pill (lorsqu’il a expliqué l’histoire) et c’est un personnage qui m’a plu dès la première rencontre et qui est des plus surprenantes. Mais en même temps, elle est totalement décalée, à l’ouest, dans son propre monde et je me demandais pourquoi l’auteur l’avait faite ainsi. Et à ce moment-là, il m’avoue que Violette lui ressemble beaucoup au même âge. C’était un rêveur. Il « voyageait » souvent et cela pouvait poser quelques petits problèmes.

Les gens ne comprennent pas ces personnages / personnes, et sont souvent médisantes à cause de ça donc il voulait un personnage qui puisse contrecarrer cette vision que l’on peut avoir de certains enfants un peu rêveur. Alors que, finalement, il trouve que ces enfants-là apportent beaucoup de poésie dans le monde et que la plupart des gens sont trop terre à terre pour les comprendre. Les gens rêveurs tels Violette ont, pour l’auteur, un regard plus juste et plus pur sur les choses.

C’est le personnage préféré de l’auteur aussi et ça l’est également pour beaucoup de monde. Donc c’est une sorte de revanche pour l’auteur qui était comme elle enfant, et pour ceux qui sont rêveurs et qui ne trouvent pas leur place dans la société. Et je peux vous dire que Violette dès le tome 3 ou 4 (de mémoire, difficile à définir) va en surprendre plus d’un ! Mais même dans ce cas là, elle restera fidèle à elle-même et vivra les choses à sa manière, très différemment par rapport aux autres personnages de l’histoire (je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler l’histoire encore une fois).

Après cette petite note sur les rêveurs je demande à l’auteur s’il avait des inspirations particulières pour écrire Oscar Pill. Par exemple, bien souvent quand un auteur écrit de la fantasy, il est probable d’entendre citer Tolkien (Le Seigneur des anneaux, etc.) car c’est une base qu’ont souvent les auteurs fans du genre et qui veulent s’y essayer. Donc je voulais savoir s’il avait quelques références mais a priori non. Il s’inspire essentiellement de la vie de manière générale, de ce qui l’entoure, des expériences vécues ou bien de ce qu’il a pu entendre ou lire dans l’actualité pour écrire quelque chose.

Bien souvent il ne voit pas directement les liens avec sa propre vie, c’est souvent grâce à des tiers qui lui font remarquer que certains événements ont un écho. Il ne s’en rend pas compte, c’est inconscient.

Ce qui l’intéresse surtout c’est de voir l’envers du décor, ce que cela peut cacher. C’est la curiosité qui pousse à voir l’évidence et à partir de cette constatation, il va broder autour et créer son propre univers, selon où son imagination l’emmène.

A ce moment là, la petite séance de dédicace continue et une jeune fille dit que ça pourrait faire un bon film, ce à quoi je rebondis car je sais qu’Oscar Pill va être adapté au cinéma. Donc je veux en savoir un petit peu plus à ce sujet car ça m’intéresse fortement. Comme mentionné un peu plus tôt dans l’entretien, l’écriture d’Eli Anderson est très visuelle et ça se ressent. Donc il est vrai qu’une adaptation cinématographique serait une bonne chose et pour ma part je serai très curieuse de voir le rendu.

Alors actuellement c’est en cours de développement. Ceux qui ont racheté les droits sont en train de voir l’exploitation de l’histoire, c'est-à-dire la forme que cela prendra. Soit ça sera une réalisation par tome (ce que font souvent les réalisateurs) et donc plusieurs films pour suivre les intrigues de chaque tome, soit ils reprennent l’idée générale pour en faire autre chose, un autre scénario sans se baser sur les livres, etc.

C’est en cours de réflexion pour le moment, il n’en sait pas plus mais les droits ont été achetés en tout cas. Seulement comme c’est une grosse entreprise (David Hayman qui est le producteur, avait déniché Harry Potter à l’époque), et qu’il y a déjà beaucoup de films en préparation / attente, Oscar Pill n’arrivera pas tout de suite au cinéma. Mais comme disait l’auteur, si ça a été acheté ce n’est pas pour rien, c’est que ça intéresse donc ça se fera mais pour le moment on n’a rien de précis.

Comme on n’a aucune information pour le moment, je voulais savoir s’il avait des idées d’acteurs pour ses personnages mais il ne préfère pas se projeter là dedans. Déjà il ne connaît pas beaucoup de jeunes acteurs et il y a beaucoup d’adolescents dans sa série. C’est sûr qu’à ce niveau-là c’est difficile de donner des noms s’il n’en connaît pas, mais il n’a pas envie de se mettre en tête des visages / des jeux d’acteurs qui pourraient coller si jamais par la suite ça n’est pas ce qu’il avait pensé. Il a peur d’être déçu en faisant ça donc il préfère attendre et voir lorsque le casting sera établi, pour que l’acteur prenne les traits de ses personnages et non pas en se basant simplement sur un physique. Il faut que ça soit l’acteur qui colle à la peau du personnage et non pas l’inverse. Chose que je comprends parfaitement.

Ces derniers temps il y a beaucoup d’adaptations cinématographiques, notamment pour des livres jeunesse (La cité des ténèbres / The Mortal Instruments, Hunger Games, Sublimes Créatures, Vampire Academy…) et il est vrai qu’on a tellement une image précise des personnages du livre qu’on peut s’attendre à être déçus lorsqu’on découvre le casting. Les ¾ du temps il faut l’avouer c’est une déception, on n’imagine jamais les personnages que l’on aime ainsi, mais parfois le jeu des acteurs peut nous surprendre (reste à voir ensuite ce que donneront les trailers, etc. mais pour Oscar Pill, on n’en est pas encore là).

Il faut savoir qu’Eli Anderson est également connu sous un autre nom de plume (Thierry Serfaty) où il écrit des thrillers (comme Demain est une autre vie). Il s’est fait connaître en premier lieu par ce genre littéraire, donc je me demandais pourquoi il en était venu à écrire de la jeunesse, de l’imaginaire qui plus est, alors que c’est quelque chose de totalement différent.

Son envie première était d’écrire de la jeunesse mais pour rentrer dans le monde de l’écriture il était plus simple pour lui de commencer par des thrillers scientifiques, chose qu’il connaît parfaitement puisqu’il est médecin. D’ailleurs, il associe la médecine à des enquêtes policières car comme le policier, le médecin doit « enquêter » / connaître les symptômes pour pouvoir soigner les gens, le policier devant récolter des indices pour trouver le coupable. La construction est la même donc c’était plus facile pour lui d’écrire ça.

Ensuite il explique qu’en France on a tendance à vouloir cloisonner un auteur dans un genre et lorsqu’il écrit autre chose ça n’est pas forcément bien vu, ou du moins il y a des appréhensions, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. Bien souvent un auteur écrit dans différents genres sans que ça ne pose de problèmes, au contraire. Donc, il s’est dit pourquoi ne pas passer du thriller à la jeunesse, puisqu’en soit c’est possible, même si ça semble antithétique.

Et s’il s’est dirigé vers de la littérature de l’imaginaire c’est parce que c’est la « Violette qui sommeille en lui » qui renaît. On lui a souvent reproché son trop plein d’imagination lorsqu’il était enfant alors maintenant il n’a plus besoin de se freiner. Il peut au contraire lui laisser le loisir de se déployer à volonté. Il peut voyager sans que ça ne pose de problèmes. D’ailleurs pour anecdote, il avait un ancien professeur qui lui reprochait souvent de rêvasser mais qui aujourd’hui le félicite pour ses livres, c’est une belle revanche pour lui.

L’entretien commence à toucher à sa fin donc pour conclure je lui demande s’il a d’autres projets littéraires et pour notre plus grand bonheur c’est le cas. Il a un projet de scénario pour le cinéma et ça sera un thriller scientifique. Et une nouvelle saga va voir le jour en 2014 chez Albin Michel (éditeur d’origine pour Oscar Pill). Ça sera un livre fantastique qui mettra en scène une héroïne (cela changera après avoir eu un garçon) plus âgée puisqu’elle aura 17 ans (Oscar en a 12 dans le premier tome). Ça sera un mélange de thriller, car il y aura beaucoup de suspense avec un monde plus dur, et de fantastique avec une touche de surnaturel. Personnellement j’ai hâte de voir tout ça.

Enfin, pour ses projets à venir je voulais savoir s’il voulait s’adonner à d’autres genres littéraires mais il pense qu’il a déjà de quoi faire avec ces deux genres (thrillers scientifique et jeunesse – imaginaire). Il ne s’adonnera jamais à la SF parce que même s’il peut en lire, il ne saurait pas l’écrire. Il a besoin du réel avec une touche d’imaginaire, où le surnaturel est une passerelle pour passer de l’un à l’autre (comme dans Oscar Pill). Il ne veut pas quelque chose qui soit une projection, ce qu’est la SF (puisque c’est dans un monde futuriste dans lequel on peut tout expliquer de manière scientifique).

Notre entretien s’achève et je remercie encore une fois Eli Anderson de m’avoir permis de faire cet interview, même si les conditions à la fin n’était pas des plus propices notamment à cause du bruit causé par de la musique avec des tambours etc. mais au moins c’était festif et entraînant !

Commentaires

  1. Super entretien. Merci pour le partage. J'aurai appris que Eli Anderson et Thierry Serfaty sont une seule et même personne :D

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    Réponses
    1. merci :)

      et oui ! ^^ j'ai été étonnée aussi quand je l'ai appris mais bon ça n'est pas dérangeant pour avoir lu dans les deux catégories, il est très bon ! faudrait d'ailleurs que je lise davantage de thrillers

      et j'ai hâte de découvrir sa nouvelle série jeunesse :D

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